Dino Yachaya

L’Italien de Pavie, collectionneur et joueur chevronné, entend marquer l’histoire moderne de l’Intellivision

Dino Yachaya est un Italien de 47 ans originaire de Pavie, une petite mais charmante ville du nord de l’Italie. Il est collectionneur, joueur et éditeur de jeux vidéo. Il a publié Gyruss, Quo Vadis et Ghostbusters sur Mattel Intellivision. Sa principale motivation : nous replonger dans nos souvenirs d’enfance avec émotion. Un projet ambitieux.

Dino est, comme à son habitude, affable, patient et réactif. Lorsque le journaliste lui propose une interview, il l’accepte avec une grande gratitude et beaucoup d’humilité. Il aura toutefois fallu une année entière pour fixer une date. La faute au journaliste. L’entretien a eu lieu sur Messenger et dans la langue de Dante pour faciliter les échanges. Deepl a fait office de traducteur. On imagine facilement Dino, élégant, assis derrière son ordinateur, comme sur les photos qu’il publie parfois sur son compte Facebook.

C’est son père, né en Iran et installé en Italie depuis les années 1950, qui lui fait découvrir l’univers des jeux vidéo. Dino a alors 8 ans. Il commence à jouer aux jeux sortis sur Mattel Intellivision, des titres conçus pour des « adultes ». Poker & Blackjack, fourni avec la console, est son tout premier jeu. Il passe ensuite à Backgammon. « C’est probablement le seul jeu que mon père ait jamais joué sur un jeu électronique de toute sa vie », dit-il. Dino jouera principalement aux jeux de la série Imagic comme Dracula, Tropical Trouble, White Water, mais aussi à ceux tirés de la licence Tron. « Le film venait de sortir au cinéma et on pouvait y jouer à la maison ! »

Dino a eu de la chance, dit-il. Il a eu entre les mains presque toutes les consoles de jeux vidéo, mais aussi une bonne partie des ordinateurs familiaux emblématiques sortis depuis le début des années 80 : Vic-20, Commodore 64, Atari 1040 ST et enfin l’Amiga. C’est sur le C64 qu’il trouve ses jeux favoris : Green Beret, Gyruss et Ghostbusters. De façon surprenante, son jeu préféré toutes plateformes confondues reste Assassin’s Creed Odyssey sur PS5. On est bien loin du rétro ! Mais ce choix n’est pas un hasard. Dino a une nette préférence pour les jeux exigeants qui racontent une histoire.

2014, l’année charnière

« Je voulais racheter les consoles de mon enfance. Naturellement, j’ai commencé par l’Intellivision ». Lorsqu’il la reçoit, Dino ressent une immense satisfaction. « C’était comme si un morceau du passé m’était revenu. La rebrancher, c’était excitant. » Une fois la console entre les mains, une obsession le prend : acheter tous les jeux sortis, même ceux qui n’avaient jamais été publiés en Italie ou en Europe, « pour le plaisir de posséder ». Il s’agit principalement des jeux de la série INTV. La suite ? On la connaît. C’est la frénésie. Il commence à acheter tout ce qui touche de près ou de loin au retrogaming. Aujourd’hui, deux pièces de sa maison sont entièrement consacrées à sa passion. Une pour ses 3000 jeux. Une autre pour la centaine de consoles et ordinateurs qu’il accumule depuis 2014. Mais sa manière de collectionner a changé. Il cherche à comprendre comment les jeux, les consoles et les ordinateurs qu’il acquiert ont été conçus et fabriqués.

Sa plus belle trouvaille ? Le Keyboard Component pour Mattel Intellivision, surnommé Blue Whale. Cet objet de collection est très recherché et s’échange aujourd’hui à plus de 5000 dollars américains. Mais pour Dino, les pièces les plus précieuses restent les trois jeux qu’il a publiés lui-même.

« C’est agréable de créer quelque chose que les collectionneurs recherchent »

Après quelques années, collectionner ne suffit plus à l’Italien de Pavie. Il veut laisser une trace. Il veut marquer l’univers de l’Intellivision. Et surtout, il veut développer Gyruss, l’un de ses jeux favoris. Il pense que c’est possible. Mais un gros problème se pose : Dino ne sait pas programmer ! C’est presque par hasard qu’il rencontre le futur programmeur de Gyruss, Quo Vadis et Ghostbusters. Roberto est un vétéran de la scène Amiga. Lors d’une convention dans sa ville natale, Dino lui parle de son envie de lancer un jeu. Roberto prend cela comme un défi. Défi relevé en moins de 5 mois ! Dino est comblé. Pourtant, ce plaisir aura un goût amer.

Gyruss aurait pu ne jamais voir le jour. Une vive polémique éclate sur le forum AtariAge dédié à l’Intellivision au sujet du jeu en développement. Il est accusé d’avoir copié le code source, le moteur graphique du jeu Deep Zone, lui aussi en développement en Italie pour Intellivision Revolution, dont les données étaient alors disponibles en ligne. Or Deep Zone est largement inspiré du jeu Gyruss. Quelle coïncidence ! « J’ai très mal vécu la controverse sur AtariAge. On a certainement commis une erreur ». Cette erreur, c’est d’avoir copié le design du vaisseau spatial car « il était magnifique, plus beau que le mien ». Depuis, Dino a modifié les graphismes du vaisseau principal, qui est maintenant encore plus beau. Tout le reste était différent.

« Mais tout cela a été manipulé pour me discréditer. Je n’ai pas eu la possibilité de me défendre, car j’ai été banni du site. J’ai trouvé ça injuste de ne pas pouvoir me défendre, et je ne peux toujours pas ! » Dino est proche d’abandonner. Il a le sentiment qu’on cherche à l’empêcher de publier des jeux, comme si on voulait tuer la concurrence. « Et puis j’ai compris que le publier, c’était la meilleure façon de prouver ma bonne foi. Aujourd’hui, je suis très fier de Gyruss. »

En comparant les deux jeux, tous deux excellents, on constate qu’ils sont bien distincts. Jouabilité, graphismes, musique et effets sonores sont totalement différents. Bref, ce sont deux jeux à part entière : l’original Gyruss et Deep Zone, une adaptation de très bonne qualité. Un collectionneur se doit donc de posséder les deux. Plus besoin de polémique. On ferme la parenthèse.

Dino Yachaya nous replonge dans nos souvenirs d’enfance avec émotion

Les collectionneurs de la console Mattel l’ont pour la plupart possédée dans leur enfance. Aujourd’hui, l’Intellivision est une madeleine de Proust. La console et ses jeux ravivent nos souvenirs d’enfance avec émotion. Peut-on ressentir la même chose avec des jeux qui n’existaient pas à l’époque ? « Ma philosophie du homebrew, c’est de faire revenir au maximum la part émotionnelle du jeu. » Dino accorde donc une attention toute particulière à l’aspect physique du jeu : la boîte, le manuel, les overlays, la cartouche. « La boîte de Gyruss est 100 % identique à celle que Parker aurait faite si le jeu était sorti en 1982. C’est pareil pour Ghostbusters ! » C’est aussi pour cette raison que Dino refuse de distribuer les roms de ses jeux : cela irait à l’encontre de la philosophie qui entoure ses créations.

Star Wars: Jedi Arena et Tron The Grid bientôt disponibles sur Mattel Intellivision !

« Tron The Grid est prêt depuis plus d’un an et la programmation de Star Wars: Jedi Arena est terminée. » Si les deux jeux ne sont pas encore sortis, c’est avant tout une question de droits, donc de licences. La question des droits n’est pas nouvelle dans le retrogaming. Plusieurs jeux comme Schtroumpfs ou Wizard of Wor ont été publiés sans autorisation préalable. Les licences Star Wars et Tron appartiennent à Disney. Peut-on imaginer une négociation avec ce géant pour une centaine de cartouches ? Il faudrait sans doute des années… pour un refus. Sortir un jeu sans autorisation n’a aucun impact sur Disney ni sur son image. Bien au contraire.

IIl devient urgent que ces deux jeux sortent pour le plaisir des joueurs et des collectionneurs. D’autant que Dino réserve quelques surprises. La cartouche de Tron The Grid est transparente avec une LED bleue, et les overlays sont phosphorescents. C’est dans l’ADN des Italiens : innover.

Entretien réalisé le 14 avril 2022 – Pascal BERNARD alias Scalpel